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Box-office italien et SIAE
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Par Laurent Aumaitre le 2 Décembre 2022 à 16:10
Si, aujourd’hui, le box-office italien n’est plus que l’ombre de ce qu’il a été, il n’en reste pas moins l’un des marchés du cinéma, les plus intéressant à étudier, de la période classique.
Bien sûr, il y a le renouveau du cinéma italien, l’explosion de la production de film, le néoréalisme, la qualité de dizaines et de dizaines d’œuvres, la diversité des films de genre côtoyant le cinéma d’auteur et le cinéma engagé.Mais d’un point de vue purement statistique, l’Italie des 1950-1970’s est un poids lourd du box-office mondial. Un marché incontournable pour rentabiliser toute production un peu chère. Je dirais même que pour des superproductions, y compris américaines, avoir du succès en Italie est indispensable. Pour s’en rendre compte, il suffit de consulter ces statistiques des principaux marchés de cette période, ci-dessous :
Pour information, le Mexique enregistrait 220 millions d’entrées en 1975.
Avec un pic de fréquentation annuelle des salles de cinéma à plus de 800 millions d’entrées (oui, vous avez bien lu) au milieu des années cinquante, l’Italie est le deuxième plus gros marché d’Europe avec l’Allemagne, et le sixième au monde, derrière les USA, l’URSS, l’Inde, le Japon et le Royaume Uni.
Au cours des années 1960, comme vous avez pu le constater en consultant les documents précédents, les ventes de billets de cinéma amorcent une longue descente aux enfers qui durera jusqu’au début des années 1990. Cette baisse est particulièrement sévère au Japon, en Allemagne et au Royaume Uni. Disons-le franchement, dans ces contrés, la fréquentation s’effondre même dramatiquement.
Dans le même temps, de l’autre côté des Alpes, le phénomène est moins marqué et les salles résistent encore bien. De fait, durant toutes les années 1960-1970, l’Italie restera le troisième plus gros marché mondial du cinéma. C’est à compter de 1980 et l’explosion de la TV de Berlusconi que la fréquentation chutera brutalement.
Et encore, on ne parle que d’entrées, mais en termes de recettes, l’Italie dépasse le royaume Uni et l’Allemagne dès les années 1960. De plus son marché est plus attractif que l’URSS de l’époque où les films américains y sont distribués plus difficilement et où, de façon générale, les films étrangers sortent tardivement. En plus le prix des billets est très bas et le rouble ne vaut rien.
Mais aussi plus attractif que l’Inde, dont le public voit majoritairement des films hindis et dont la roupie ne vaut pas un rouble. On comprend mieux dès lors le nombre incroyable de coproductions internationales qui voient le jour avec l’Italie durant cette décennie.On comprend donc tout l’intérêt que peut susciter le box-office transalpin de ces années. Or, il n’y a que très peu de données sur le net ou même dans la littérature. Premier problème, pas de chiffres officiels publiés. Durant des années, seuls les magazines de la presse spécialisée publiaient des recettes de salles d’exclusivités. Car oui, les italiens, comme les américains s’intéressent avant tout aux recettes, plus qu’aux entrées.
Parmi les titres de presse de l’époque, on retiendra surtout Araldo dello spetacollo. Une version italienne du Daily Variety, mais en mieux. Le quotidien indiquait en effet tous les jours les recettes de salles d’exclusivité des 12 principales villes du pays, dans un premier temps, puis des 16 villes dites clés. Ce sont ces chiffres qui furent publiés, durant quelques années, par d’autres titres de la presse internationale, comme le Film Français, Variety et bien d’autres. C’est également ceux-ci que l’on trouve le plus souvent cité sur le net. Malheureusement, c’est un périodique devenu rare et se vendant à des prix élevés (comptez en moyenne 15-20€ pour un magazine de 8 pages). Il est donc impossible d’envisager de reconstituer une collection complète.
Par la suite, l’effondrement des entrées poussera la presse à publier les recettes ou les entrées (à l’image du Catalogo Bolaffi) des 79, puis 96, puis 101 ou encore 116 villes les plus importante du pays. Et cela dépendait du périodique et même de la semaine, en fonctions des informations qu’il avait pu collecter. En bref, cela ne signifiait plus grand-chose de faire des comparaisons entre films (même si, par le passé, Renaud Soyer de http://www.boxofficestory.com/ et moi, nous sommes amusés à estimer les recettes des films non italiens des 1960’s, en fonction de nos données respectives et de classements glanés sur le net).
Et dans tous les cas, ce ne sont pas des données nationales complètes et elles étaient communiquées par les exploitants ou les distributeurs, ce qui, on le sait, n’est pas toujours conforme à la réalité. Il convient donc d’en avoir conscience.Puis en 1995, Maurizio Baroni eut l’idée, cinq ans avant Simon Simsi avec le box-office français, de publier un livre répertoriant le box-office de tous les films italiens sortis en Italie. En fait, Platea in Piedi, c’est son titre, fut publié en trois volumes. Il couvre en effet la quasi-totalité des productions et co-productions italiennes sorties entre 1945 et 1978, soit plus de 5400 films quand même. Ces livres ne sont pas évident à trouver sur le net et se vendent en moyenne 50€ pièce.
De plus, bien qu’on y retrouve de nombreux film français ou d’autres nationalités, cela ne concerne que les productions italiennes. Très peu de films américains y figurent et vous n’y trouverez pas des films comme Ben-Hur ou le Docteur Jivago, par exemple. Enfin, cela reste des recettes. Toutefois, il s’agit-là des recettes officielles et nationales. C’est de là que sont tirés tous les chiffres italiens publiés sur ce blog (pour les films italiens, bien entendu).Mais alors, d’où viennent ces données ? Et après 1978, existe-t-il d’autres chiffres nationaux et officiels ? Ces données proviennent de la SIAE. La quoi ? La Società Italiana dell Autori ed Editori.
La société italienne des auteurs et éditeurs, donc, fondée en 1896, et dont l’un des rôles est de gérer les droits d’auteurs, devenue un établissement public en 1942. En 1921, elle obtenait déjà le droit de collecter la taxe sur les représentations théâtrales, puis sur tous types de spectacles. Cette taxe a existé jusqu’en 1999.
Dès 1923, dans le cadre de sa mission, la SIAE publie des statistiques nationales complètes sur le cinéma, le théâtre et autres types de spectacles. Certains de ces rapports sont disponibles sur le net gratuitement (j’ai trouvé celui de 1923 et de 1942 par exemple) et se révèle très intéressant pour les amateurs. Toutefois il s’agit de statistiques générales et il n’y a aucune information concernant des films spécifiques.
J’ai donc contacté la SIAE, il y a un peu plus d’un an, où j’ai eu des correspondants très agréables. En résumé, la SIAE possède les données de tous les films estampillés italiens, entrées comme recettes, depuis 1950. Mais également de tous les films sortis en Italie, toutes nationalités confondues, depuis 1973. Vous vous en doutez, j’étais aux anges.
Par contre ces données sont accessibles sur demande et payantes. En fait, toute la négociation s’est faite par téléphone parce que les tarifs sont au cas par cas. Cela dépend de votre situation (ils ont des tarifs pour les étudiants), si vous êtes un particulier, un groupe de presse, un site internet, un auteur etc. Cela dépend également du motif de votre demande, si c’est pour une thèse, une étude statistique, pour une publication etc. Évidemment, les prix sont plus élevés si les données doivent être publiés.
Cela dépend également de votre demande en elle-même. Plus elle sera fournie, plus elle coûtera chère. Par exemple, au-delà du nombre de films, les informations annexes comme le réalisateur, le titre original, la date de sortie, le numéro de visa, la nationalité du film, le casting ou que sais-je encore sont toutes payante. Autant vous dire que je suis allé au plus économique ; le titre italien et les entrées.
Enfin, il faut reconnaitre également que le tarif est aussi influencé par la communication. Dans mon cas, le courant est très bien passé avec mes interlocuteurs (ils étaient deux) et ils m’ont gentiment offert des prestations.
Dans tous les cas, sachez que quelle que soit votre demande, un montant forfaitaire de 200€ est exigé.
J’ai donc demandé la liste des films sortis entre 1950 et 1989 et ayant réalisés plus de 500 000 entrées. Cela m’a coûté en tout 1220€ pour avoir les quatre décennies et 4804 films correspondants.
Pour des raisons évidentes de confidentialités j'ai retiré volontairement des scans, toutes précisions pouvant être sensibles.
Et maintenant ? Et bien, si comme moi (^^), vous comprenez parfaitement l’italien, vous avez pu lire qu’il est stipulé dans le contrat que je ne peux en aucun cas, directement ou indirectement transmettre ces données à aucun organisme ou personne morale. Autrement dit, si je publie les données sous forme de tableau sur le blog et que par je ne sais quel miracle ils seraient repris par un périodique consacré au cinéma en Italie, la SIAE serait en droit de me poursuivre et obtenir compensation financière. Bref, je ne peux pas les publier.
Enfin, en l’état tout du moins. Je réfléchi donc à une façon de les publier, tout en respectant les clauses contractuelles. Dans tous les cas ce ne sera pas pour tout de suite, car je n’ai pas encore fini de retrouver tous les films correspondant à leur titre italien. Et ça ne saute pas forcément aux yeux que Il poliziotto della brigata criminale est en fait Peur sur la ville…Enfin, il est stipulé à la fin du contrat que dans le cas où je publie des chiffres, je dois en préciser la source. Ce qui signifie qu’il y a une certaine tolérance, dans la mesure où ce ne sont que quelques chiffres communiqués par ci par là, comme dans une filmographie par exemple. Ce que je ne me priverai pas de faire dès que j’en aurais l’occasion.
A bientôt pour de nouvelles informations consacrées à la « vie interne » de ce blog.
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